COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES : LES INSUFFISANCES DE L’EXECUTION DE SES DÉCISIONS.

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La décision de la République du Bénin de retirer sa Déclaration du Protocole de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a provoqué une horde de réactions aussi controversées qu’émotionnelles. Des spécialistes du droit international aux défenseurs des droits de l’homme, chacun y va avec ses connaissances mais également avec ses méconnaissances. Le Bénin tout comme un autre pays a-t-il le droit de se retirer du Protocole de la Cour? Ou bien quelles sont les faiblesses de l’organisation régionale qui font que les pays bien qu’après avoir souscrit à la déclaration du Protocole peuvent décider de ne pas appliquer les décisions de l’institution ou de choisir de s’en retirer ?

De prime abord, selon une certaine opinion assez répandue, il est admis que la mise en oeuvre de la protection, au sens large incluant le respect, le contrôle du respect et la répression des violations est le point faible bien connu du droit international. Pour cette même opinion, et à tout point de vue la nôtre aussi, cette mise en oeuvre paraît encore plus difficile en droit international des droits de l’homme car cette branche poursuit la protection de l’individu contre l’Etat, rapport par nature inégalitaire au demeurant.

Il est avéré que la première catégorie des limites juridiques ici, il s’agit de celles normatives et celles institutionnelles peuvent être retrouvée dans les lacunes de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dans les faiblesses de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples mais également les faiblesses du protocole dont les dispositions ne prévoient aucune mesure contraignante contre les pays en terme d’application des décisions de la Cour. Et enfin dans la volonté de l’Union Africaine de fusionner la Cour africaine avec la Cour de Justice africaine. Ces limites sont celles propres à tout le système africain de protection et promotion des droits de l’homme, en général.

De l’insuffisance fondée sur l’exécution volontaire des arrêts de la Cour

Cette insuffisance est rangée parmi les déficiences les plus criantes dont souffre la Cour africaine. En effet, nous ne le dirons jamais assez, l’effectivité de la mission d’une juridiction s’apprécie à travers le respect et la mise en exécution de ses décisions.

Or, malgré les vertus charismatiques des dispositions des articles 29 et 30 du Protocole, aux termes desquels les Etats parties s’engagent à exécuter les arrêts rendus par la Cour et que le suivi de l’exécution de ceux-ci revient au Conseil des Ministres, et après analyse combinée des dispositions de deux articles précités, il ressort que l’exécution des arrêts de la Cour est essentiellement volontaire. Il est pourtant vrai que la Cour adresse à la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernements un rapport annuel de ses activités, dans lequel rapport elle mentionne, à l’instar des deux autres Cours régionales, les cas d’inexécution de ses décisions. Mais que faire, quelle contrainte exercée à l’endroit d’un Etat  «  Récalcitrant » qui refuse de s’exécuter ? A cette question, les tenants de la théorie volontariste semblent prendre le dessus lorsqu’ils affirment sans peur d’être contredits que la société internationale et le droit international sont des donnés substantiellement relevant du consentement du « sujet-majeur par excellence » du droit des gens à savoir les Etats. Cet état de chose est considéré comme un effet logique de la bribe de phrase tirée du célèbre arrêt rendu dans l’affaire du Lotus selon laquelle les Etats «étant les seuls maîtres des normes dont ils sont auteurs, ils en apprécient eux-mêmes la signification et la portée. Ils sont ainsi les interprètes des obligations auxquelles eux-mêmes comme les autres partenaires et les autres sujets se sont soumis».

Or, pour une certaine catégorie des droits de l’homme, particulièrement les droits civils et politiques faisant partie du jus cogens, le Protocole aurait dû prévoir un mécanisme sanctionnateur à l’encontre des Etats qui ne respecteraient pas l’engagement prévu à l’article 30. S’il en allait autrement, les arrêts de la Cour courent le risque d’être de simples constatation ou des purs voeux pieux.

Bien aussi, l’on ne saurait concevoir une justice juste sans voies de recours.

Le silence du Protocole sur la question des voies de recours

Il est à déplorer le silence que le Protocole instituant la Cour a affiché au sujet de la question des voies de recours.

Au vrai, la justice humaine n’étant pas à l’abri de certaines erreurs, l’indépendance des juges étant déjà sujette à caution, et face à tous les aléas dont nous avions parlé plus haut et que nous évoquerons un peu plus bas, lesquels aléas entourent la problématique de la protection des droits de l’homme en Afrique, il aurait été prudent de prévoir une soupape de sûreté en prévoyant un second degré au sein de cette instance.

Ni les besoins de la célérité, ni l’insuffisance des moyens financiers moins encore, ni les impératifs d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour justifier l’absence des voies de recours, garantie d’une justice efficace. Nous pensons que l’exemple de la Cour européenne en cette matière est très édifiante.

Il est vrai que la Cour africaine, à l’article 28 (3) du Protocole peut réviser son arrêt en cas de survenance des preuves dont elle n’avait pas connaissance au moment de sa décision. Toutefois, comme l’on peut s’en rendre compte, cette exception n’est pas, à proprement parler, une voie de recours.

Et en l’absence de toutes ces insuffisances, le manque de ressources financières reste une déficience de taille pour les institutions africaines en général et pour la Cour africaine en particulier.

Jus Cogens : « norme impérative de droit international général acceptée et reconnue par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise ».

Christophe G. DJOSSOU

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