FACE A LA CONCURRENCE CHINOISE : L’INDUSTRIE GHANÉENNE DU TEXTILE A L’AGONIE.

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La filière ne représente plus que 0,4 % du PIB et ne subsistent plus que trois entreprises qui fabriquent localement contre une dizaine il y a seulement vingt ans.

Le marché de Makola est l’un des plus grands d’Afrique de l’Ouest. Légumes, fruits, produits d’entretien et textiles s’y échangent sur le macadam sur des kilomètres. Albert est un habitué de ce lieu, à l’ambiance si particulière entre la mer de couleurs, la foule qui rit et négocie et la cacophonie de klaxons. Le quadragénaire tient depuis vingt ans une boutique de vêtements et de tissus sur la Kwame Nkrumah Avenue, l’une des artères principales du marché.

 « Ici je ne vends que des produits fabriqués au Ghana car je défends l’industrie du pays ! », soutient-il avec un aplomb presque capable de convaincre la cliente la plus réticente. En parlant, il montre ses hautes étagères où s’alignent les textiles aux couleurs bigarrées typiques du pays. Chez lui, on a le choix entre les multiples pagnes kenté, une étoffe de coton et de soie tissée en bandes entrelacées. Beaux vêtements et coupons sont soigneusement pliés dans l’attente du chaland en ce début d’octobre. Les Ghanéens aiment ce matériau mélangé. Ils en sont fiers et le réservent aux grandes occasions.

En dépit de ce traditionnel engouement, la situation devient difficile pour Albert. « Nous sommes de plus en plus concurrencés par des produits contrefaits fabriqués en Chine, pour des coûts moins élevés. Et comme les Ghanéens font attention à limiter les dépenses, ils achètent pas cher, même si la qualité de la marchandise s’en ressent », déplore-t-il.

Porosité des frontières

A Makola, il n’est en effet pas bien compliqué de trouver des vêtements fabriqués à l’étranger. Pas loin d’Albert, Abena, qui vend ses produits sur le trottoir, a disposé ses étoffes sur quelques mannequins. Couleurs et motifs laissent à croire qu’ils ont été fabriqués localement. Pourtant le tissu a déjà fait des milliers de kilomètres avant d’arriver là. « Le design vient du Ghana, résume la vendeuse, mais mes tissus sont fabriqués en Chine et je les achète au Togo. » Tout est dit.

Depuis plusieurs décennies, en effet, c’est par le port de Lomé, distant d’à peine 200 km de la capitale ghanéenne, Accra, que les tissus copiés et fabriqués en Chine viennent inonder les marchés ghanéens. Le port de la capitale togolaise disposant du statut de port franc, les importations entrent sur le continent africain sans que l’importateur n’ait à s’acquitter de taxes. Ensuite, la porosité de la frontière entre les deux pays favorise la circulation des produits.

Sur le marché de Makola à Accra, en juin 2015. Francis Kokoroko / REUTERS

Pour l’emploi local, c’est la catastrophe. Si, dans les années 1980, le secteur du textile employait quelque 30 000 personnes, ils ne sont plus que quelque 3 000 à tenir l’aiguille aujourd’hui et le secteur s’est réduit comme peau de chagrin, ne représentant plus que 0,4 % du PIB. Dans le pays tout entier, il ne reste que trois entreprises qui se partagent le marché du textile, contre une dizaine il y a à peine vingt ans. Dommage pour le président Nana Akufo-Addo que ce secteur s’effondre et que ces usines disparaissent. Il était arrivé au pouvoir en janvier 2017 avec la promesse de mettre une usine par district et en a fait l’alpha et l’oméga de sa politique.

Kofi Boateng est le PDG d’Akosombo Textiles Limited (ATL), l’une des trois survivantes. Ses locaux administratifs se trouvent à Adabraka, un quartier populaire de la capitale ghanéenne. Là, les murs sont décatis et le parking quasiment vide… Les locaux racontent la difficile situation économique de l’entreprise. La société employait 1 500 personnes dans les années 2000, mais ne compte plus que 760 salariés aujourd’hui. Et encore, il a fallu qu’en novembre 2018, il y a juste un an, le gouvernement ghanéen débourse 17 millions de cédis (3 millions d’euros) pour la sauver de la faillite. De l’argent nécessaire, mais qui n’a pas aidé Kofi Boateng à redresser durablement la barre. Aujourd’hui encore, la situation est compliquée. « Des produits contrefaits entrent dans le pays par la frontière de l’est avec le Togo. D’autres arrivent par celle du nord avec le Burkina », soupire le patron, inquiet. M. Boateng ne sait plus comment lutter face à des produits fabriqués en Chine vendus jusqu’à dix fois moins cher que ses vêtements « Made in Ghana »« Ce qui est frustrant, poursuit-il, c’est que le marché du vêtement est en expansion dans notre pays, mais ce ne sont pas les entreprises nationales qui en bénéficient. »

Vertus de la concurrence

Pour venir en aide au secteur, le gouvernement a pourtant mis en place des mesures fiscales. Au début de l’année, les autorités ont exempté les fabricants locaux de TVA. Une mesure qui devrait coûter 40 millions de cédis par an (7 millions d’euros) à l’Etat. Le gouvernement a également l’intention d’apposer sur chaque vêtement fabriqué localement un code-barres pour tracer sa provenance. « Mais tout cela est bien loin d’être suffisant », estime pour sa part Abraham Koomson, le président du Syndicat des salariés de l’industrie textile.

Albert, début octobre 2019, dans sa boutique du marché de Makola, à Accra, la capitale du Ghana, vend vêtements et coupons de tissus « Made in Ghana ». Dylan Gamba

Ce syndicaliste de 74 ans, qui a débuté dans le secteur du textile en 1971 en tant que salarié de Tema Textile Limited, aujourd’hui disparue, se plaint de l’incurie des autorités. « La précédente majorité avait mis en place une “task force” constituée notamment de syndicats et de policiers pour faire la tournée des marchés, saisir les produits illégaux et les détruire. Mais l’actuel gouvernement, pour des raisons électoralistes, a choisi une autre voix et supprimé la mesure pour ne pas mécontenter les vendeurs, accuse-t-il. Vous pouvez mettre en place toutes les mesures fiscales que vous voulez, tant que nos frontières restent aussi poreuses et que les produits contrefaits ne sont pas saisis, le secteur du textile ghanéen continuera à détruire des emplois. Lorsqu’un nouveau produit sort, il est copié dans la semaine et produit illico dans les usines chinoises », poursuit-il. Pour survivre, Printex, l’une des trois entreprises survivantes, a dû se diversifier et lancer une gamme de jus de fruits qui, bénéficiaire, finance les activités de textile.

Malgré cette situation, le PDG d’Akosombo Textiles Limited, Kofi Boateng, veut rester optimiste. Son entreprise vient de décrocher le marché des uniformes pour les écoles secondaires du pays. De quoi lui donner un peu d’oxygène pour les temps à venir. « Il nous faudra de nombreuses années pour remonter la pente, mais nous sommes toujours là malgré tout, souligne-t-il. Cette situation nous oblige à innover, à trouver de nouveaux designs pour attirer sans cesse de nouveaux clients. » Quand il parvient à oublier les fins de mois difficiles et à regarder plus loin, M. Akosombo entrevoit les vertus de la concurrence. Fût-elle un brin déloyale.

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