RD CONGO: POURQUOI LE REPORT DES ELECTIONS POURRAIT ETRE MAL PERÇU

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Alors que les élections, un triple scrutin provincial, législatif et présidentiel, auraient dû avoir lieu ce dimanche 23 décembre, la Commission électorale a décidé de les reporter d’une semaine. Le président de celle-ci, Corneille Nangaa, a dû reconnaître que le déploiement du matériel électoral accusait des retards et en particulier l’acheminement des fiches prévues pour dresser les procès-verbaux du vote.

Retards techniques

S’il ne s’agissait que de considérations techniques, ce retard serait compréhensible. En effet, dans ce pays continent, la tâche était gigantesque et Nangaa s’était engagé dans une course contre la montre qui donnait le tournis : doter 80.000 bureaux de vote de « machines à voter » des imprimantes électroniques qui n’avaient jamais été testées ailleurs et avaient suscité le doute de l’opposition, jusqu’à ce que tous les leaders politiques finissent par s’incliner devant le fait accompli.

Depuis des semaines, les avertissements se multipliaient, assurant que, sur le simple plan technique, la Céni ne serait pas prête pour la date, devenue fétiche, du 23 décembre 2018. Rien n’y faisait : récusant autant les observateurs européens que l’assistance technique de la Monusco, Kinshasa, par la voix du président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) Corneille Nangaa, pratiquait jusqu’à l’extrême l’optimisme de la volonté.

C’est finalement le pessimisme de l’intelligence, et surtout les impitoyables contraintes de la logistique, qui l’ont emporté : devant la presse, face à l’opinion nationale et internationale, Corneille Nangaa a dû annoncer que les élections censées désigner un successeur à Joseph Kabila (hors mandat depuis deux ans) devaient être reportées de sept jours et avaient donc été fixées au 30 décembre.

Indispensable papier

Les raisons invoquées sont essentiellement techniques : le 13 décembre dernier, un incendie criminel a détruit un entrepôt de la Céni à Kinshasa et une bonne partie du matériel électoral dont 8.000 machines à voter destinées à la capitale, une métropole de huit millions d’habitants, a été la proie des flammes.

D’après M. Nangaa, la Céni avait pensé pouvoir utiliser les stocks de réserve, des machines déjà déposées en province et qui auraient pu être rapatriées vers la capitale. Mais cela ne suffisait pas : manquait aussi le papier des bulletins de vote, et un nouveau stock dut être commandé en catastrophe en Corée du Sud. Rappelons en effet que la « machine à voter », si décriée, est d’abord une imprimante : les électeurs choisissent le candidat de leur choix sur un écran tactile et ils déposent ensuite dans l’urne le bulletin qui porte le visage de leur préféré. C’est ce vote manuel qui est pris en compte lors du dépouillement des votes. Si le papier vient à manquer, les opérations ne peuvent avoir lieu.

A première vue, il s’agit là d’un cas de force majeure et les raisons avancées par la Céni auraient pu être acceptées, tant par les partis politiques que par l’opinion publique si, dès le départ, la confiance avait régné. On est loin du compte. La campagne électorale d’un mois s’est déroulée dans une atmosphère tendue, marquée par des incidents violents et une dizaine de morts, par des brimades à l’égard des candidats de l’opposition et surtout de Martin Fayulu, le candidat de la coalition Lamuka qui a suscité un engouement auquel nul ne s’attendait et qui, à la veille de l’annonce du report, a été empêché de tenir son dernier meeting à Kinshasa.

Occidentaux à l’écart

De plus, les témoins occidentaux ont été tenus à l’écart, qu’il s’agisse des observateurs de l’Union européenne jugés partiaux dès le départ ou des difficultés rencontrées par certains journalistes, peut-être en guise de rétorsion aux sanctions infligées par l’Union européenne à certains responsables du régime, parmi lesquels le dauphin du président Kabila, Shadary Ramazani ; une mesure qui a été considérée comme une ingérence dans la campagne.

Le manque de confiance, voire le scepticisme de la population, a été nourri aussi par le fait que les élections auraient dû avoir lieu en 2016… C’est l’accord dit de la Saint-Sylvestre, conclu in extremis grâce à la médiation des évêques congolais, qui avait rendu possible un délai supplémentaire de deux ans. Au terme de ce « bonus » d’aucuns doutent encore de la volonté du président Kabila de réellement céder le pouvoir. Et même s’il ne s’agit que de sept jours, le nouveau report actuel ne fait que renforcer les doutes et exacerber l’opinion.

Pour des « impératifs sécuritaires », le gouverneur de la ville de Kinshasa André Kimbuta a d’ailleurs suspendu la campagne dans la capitale. Le Congo se dirige donc vers une curieuse période de veille, qui verra les candidats rentrer chez eux sans plus pouvoir réunir les foules et défendre leur programme. Cette mesure d’apaisement est accompagnée d’autres dispositions : des militaires ont été acheminés vers Kinshasa afin de relayer la police en cas de troubles.

« Trop c’est trop… »

Relayé par l’Agence France Presse (AFP), le cri d’un étudiant en droit, Yannick Sadisa, traduit sans doute l’exaspération de beaucoup de Kinois : « Kabila n’a pas l’intention de quitter le pouvoir, s’est-il écrié. Aujourd’hui, même si on lui donne sept jours supplémentaires, cela ne va pas suffire… Trop c’est trop… » Auprès du siège de l’UDPS – le parti de Félix Tshisekedi –, des grenades de gaz lacrymogène ont été tirées pour calmer une foule qui manifestait son mécontentement.

Quant aux états-majors des partis politiques, ils se réuniront dans les heures qui viennent et ils signifieront alors au président de la Céni si, faute de leur confiance, il pourra au moins compter sur leur résignation. Corneille Nangaa, quant à lui, a conclu sa conférence de presse en déclarant qu’à l’issue du scrutin, le 30 décembre prochain, les résultats seraient proclamés le plus rapidement possible… L’année 2019 commencera sur les chapeaux de roue.

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